Le 3e kun de Gishin Funakoshi

1. Vue panoramique

Au fil des dernières parutions de «Contact», quatre kun - ou sentences balsamique - ont été égrenés. Au premier des vingt préceptes empruntés à Gishin Funakoshi a fait écho le dernier, lui-même suivi par le deuxième puis le seizième. Revenant dès aujourd’hui à une progression plus linéaire, nous aimerions questionner ici le 3e kun:

Le 3e kun de Gishin Funakoshi
Karatejutsu wa, gi no tasuke
l’art du karate sert la justice


Le 3e kun de Gishin Funakoshi
Malgré la liberté de lecture que les kun offrent à qui s’en empare, malgré même un certain flou sémantique dont la fonction est sans doute de diligenter la recherche personnelle, on ne saurait débiter à leur propos tout et n’importe quoi, sous peine de pensée en vase clos. Certains gardefous en canalisent l’interprétation, gardefous parmi lesquels il faut compter d’après nous:
1° la finalité sinon exclusivement, du moins essentiellement martiale (préservation de l’intégrité personnelle),
2° le contexte okinawaien allant du 17e au début du 20e siècle, 3° le réseau tissé par l’ensemble des vingt kun, chaque précepte déployant en quelque sorte son potentiel directeur au sein du système formé avec les autres kun.

Attardons-nous sur le premier point. Si nous ne faisons pas complètement fausse route, l’exigence serait ici de ne jamais se contenter d’une simple appréciation morale du type: «il est moralement bon de promouvoir la justice». Quelque valeur qu’il y ait à honorer ce point de vue pour luimême, indépendamment de nos intérêts pratiques, le 3e kun invite à réfléchir sur la raison martiale pour laquelle il faut se conduire justement. C’est du reste sans doute une des inestimables richesses éducatives des kun que de faire levier sur nos motivations moins spirituelles – en l’occurrence le combat – pour les élever petit à petit vers des fins plus élevées – la justice1. Or bien, qu’y a-t-il d’intéressant pour un lutteur à faire carillonner le gi, c’està- dire la justice, l’honneur, la moralité?

Avec quel étrange encens essaie-t-on donc de nous flatter les narines? Aurait-on peur par hasard du pratiquant trop plein de vie, du butor préférant une bonne giroflée à cinq feuilles aux discours grandiloquents, du gamin rebelle? Justement pas, car c’est à eux surtout que s’adresse le kun.
S’il faut faire effort vers la justice, en effet, une raison en est que la puissance maximale d’autodéfense ne se libère que là où la personne sait défendre une cause juste à ses yeux. En un mot comme en cent, il faut que «ça fasse sens» pour elle.

Peut-être est-ce pourquoi le kanji retenu ici par Funakoshi pour indiquer le juste signifie aussi «sens, signification». Les experts en autodéfense – le contexte où naquis le te chikaya2 okinawaien – sont formels: veut-on répondre efficacement contre une agression? Qu’on s’assure de se respecter soi-même inconditionnellement, c’est-à-dire d’être juste à son propre égard. L’assurance de vivre suivant le gi fournit en résumé une détermination (kime) irremplaçable qu’aucun pratiquant ne saurait à long terme négliger pour accroître son efficacité.

Mais il y a plus. D’après notre expérience, vivre justement constitue un ingrédient appréciable d’une autre qualité importante pour le combat: la sérénité (shizukesa). Droit, l’homme se sent en effet «affilié à» des forces plus vastes que les siennes. C’est ce que signifie précisément – et encore – le kanji «gi »: «être parent avec quelqu’un autrement que par le sang». Qui n’a ressenti cette force tranquille que donne la conviction de rayonner le bien? Qui n’a éprouvé la douce et puissante disponibilité intérieure que procure une vie loyale, ou même simplement une bonne action occasionnelle?

2. Suggestions pratiques

Dans le kumite entendu comme art de la rencontre, une première application fertile du 3e kun consiste simplement à… parler juste. En bon budoka, faites donc l’expérience d’analyser les conversations du quotidien (y compris vos propres dialogues internes) sécrétées à la base des conflits. La plupart du temps, des mots sont lâchés qui gauchissent la simple réalité observable. Ces mots «injustes» appartiennent à plusieurs catégories finement étudiées par les spécialistes de la communication. Citonsen une, merveilleusement efficace pour empoisonner nos vies: les quantificateurs universels. Si ce n’est déjà fait, apprenez à en rendre l’usage plus juste et… dégustez les changements:

Le 3e kun de Gishin Funakoshi
Les quantificateurs universels sont ces mots qui généralisent, comme «tous les», «chaque», «plein de», «jamais», «rien», «nul» ou «complètement». Leur usage est souvent légitime. Mais il sert aussi souvent à amplifier injustement l’impact émotionnel d’un message, et à générer des croyances râpeuses. Face à des énoncés du type «les femmes n’y comprennent que dalle», «c’est toujours la même histoire avec toi», «je suis nul au sol» ou «personne n’aide plus son voisin, de nos jours», exercez-vous à chercher l’honnête précision: quelles femmes, au juste? Vraiment toujours (combien de fois, au juste)? Nul ou médiocre? Vraiment personne? Ces questions assainissantes seraient naturellement à user avec tact, visà- vis d’autrui. Faute de quoi elles pourraient elles-mêmes engendrer des tensions.Visà- vis de soi-même, par contre, elles nous semblent constituer un élixir sans danger pour servir le shin du shin-gi-tai (principe du travail tridimensionnel esprit-techniquecorps).

Second et dernier croquembouche, pour les amateurs de justice/justesse: les liens de cause à effet. À l’instar des quantificateurs universels, les liens de cause à effet sont souvent fabriqués de toute pièce, l’air de rien, pour susciter injustement des comportements ou des croyances. En voici un panel éloquent: «Dès que sa mère passe à la maison, c’est le chaos!», «Tu as de nouveau fumé, j’ai les nerfs» (ici, l’auteur crée un lien fictif par simple juxtaposition de deux propositions, comme dans le constat «Mon Sensei ne m’a pas salué aujourd’hui, il m’en veut»), «À force de dire ce qu’il pense, il a fini par se faire virer», «Si tu revois ton père, je serai triste!». Un remède contre ces dérives consiste à demander «en quoi le fait que… implique-t-il…?».

Bonne pratique à tous, avec tact et plaisir !
 
Maurizio Badanaï

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