Entraînement: contrainte ou plaisir?

De quelle nature sont les légers frissons qui nous parcourent le dos lorsque nous nous rendons à l’entraînement? Est-ce du bonheur à l’état pur? ou un profond ennui provoqué par la remise en cause de notre mode de vie que nous prenons tous soin de rendre aussi agréable que possible ?

Plus généralement, de quelle manière abordons-nous l’enchaînement des entraînements de saison en saison, d’année en année ? Quelle place prend notre vie de pratiquant au sein de cette tradition que l’on prétend toujours respecter ?

Bien des préceptes énoncés par d’anciens senseis parlent de la structure de l’entraînement. Aussi bien pour les phases d’échauffement de kihon, kata ou kumité: en effet, leur structure fait partie prenante de la tradition dans le sens où elle englobe les fondements et évolutions du style.

Comment ces notions génériques du Budo se déclinent-elles au travers des différentes disciplines et styles ? Concrètement, qu’en reste-t-il lors des entraînements auxquels nous participons ?

Comme point de départ inévitable, il y a une première leçon. L’état d’esprit du nouveau venu est souvent cité par notre sensei comme un point de repère. En effet, l’absence d’ego liée à la nouveauté de la situation ainsi que l’envie d’apprendre rend la personne très réceptive. Cette faculté est très proche des préceptes du Budo - ne jamais se reposer sur sa prétendue expérience ou compétence - simplement du fait de l’absence de passé. Au fil des entraînements, cet état d’esprit ne peut que disparaître. Notre sensei compare le nouveau venu à une page blanche.

Vient ensuite la période des premiers apprentissages : les premiers traits se dessinent sur la page blanche et façonnent petit à petit l’approche du pratiquant. Il arrive de plus en plus confiant, face au déroulement des séances, mais commence à rencontrer les premières difficultés. D’ordre physique dans les premiers temps, les premiers défis, les premières remises en questions s’annoncent. Les vertus de la discipline choisie passent d’un statut d’idéal à une pratique concrète. Pendant cette période, l’accompagnement du débutant doit être réalisé par les personnes les plus expérimentées afin de poser des bases solides.
Au-delà des aspects physiques, le nouveau venu fait ses premiers pas sur la voie du Budo traditionnel et se heurte à des notions complexes pour les néophytes. Là encore, l’innocence relative du sujet le rend propice à l’écoute et, de fait, à la transmission de valeurs traditionnelles. Et là aussi, qui d’autre que la personne la plus expérimentée est à même de mener cette tâche à bien ?

La phase suivante concerne le pratiquant expérimenté auquel il est demandé de travailler sur ses défauts établis. C’est la période où certains des traits sur la page blanche se transforment en sillons directeurs qui pourraient entraîner le pratiquant sur des voies détournées.
L’ego du pratiquant est mis à rude épreuve. A ce niveau, les remarques se focalisent sur les points à corriger. Plus besoin de parler, l’enseignant ne peut pas plus corriger les défauts d’une autre personne que lui fournir des recettes toutes prêtes. La seule chose qu’il puisse faire est de travailler aux cotés de l’élève pour lui donner l’exemple. Ce n’est qu’à force de répétition que l’élève peut progresser.
A ce stade, un environnement calme et silencieux devient nécessaire afin de ne pas distraire le pratiquant.

Au fil du temps, l’élève devient le sempai de plus en plus de personnes. Il doit poursuivre sa progression mais également transmettre les valeurs de la tradition qu'il suit. Il doit profiter de son expérience afin de limiter ses commentaires aux points importants et ne pas se laisser aller à des explications fleuves, cela par souci de modestie, mais aussi par respect, afin d’offrir aux élèves un cadre de travail sérieux et concentré.
Pour l’opinion commune, l’enseignant qui prend le temps d’expliquer les choses de A à Z est bien vu, son attitude est considérée comme une preuve de gentillesse et de sérieux. Dans le budo, c’est le contraire : pendant que le professeur parle, le pratiquant ne s’entraîne pas. Si son cerveau comprend les remarques, ce n’est pas le cas du corps. Afin de progresser, le corps a besoin de répétitions. Ce n’est qu’après des milliers de répétitions que le corps commence à intégrer une technique, c’est là un principe physiologique.
Pour l’élève, ces répétitions sont parfois rébarbatives. Il préfère varier les techniques plutôt que de répéter la même pendant des heures. Là encore, le corps dicte sa loi: passer trop vite d’une technique à l’autre ne permet pas de se forger une base solide.
Si l’élève ne parvient toujours pas à comprendre, l’enseignant doit pratiquer en même temps. Les deux personnes vont suivre les mouvements de l’autre par les yeux, l’un pour reproduire, l’autre pour vérifier. L’entraînement par les yeux – mitorigeiko - est l’une des clés de la progression.
 
Stéphane Emercy

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